Semaine de la presse – Rencontre avec Guillaume Erner

14 avril 2022

Guillaume Erner a eu la gentillesse d’accepter de passer une heure avec nous pour nous expliquer le rôle du journaliste et répondre à nos questions.

Il nous a brossé rapidement son parcours : il est journaliste « matinalier » (6h57-9h00) sur France Culture.

Si tout journaliste passe en général par une école de journalisme, Guillaume Erner déroge à la règle. Il a en effet suivi un cursus dans une école de commerce, puis effectué un doctorat en sociologie. C’est sans doute pour cette raison qu’il possède et propose une vision différente de celle des journalistes ayant suivi un parcours plus classique.

Il existe en France de nombreuses radios qui proposent de l’information : France Info traite toute l’actualité, dont le sport ; France Inter se concentre sur l’actualité politique ; France Culture traite toute l’actualité ; ses invités sont des experts, des scientifiques, des artistes ; les faits divers ne sont pas abordés, tout comme les résultats sportifs – sauf pour le Tour de France ; peu de commentaires de sondage.

  • Comment faites-vous pour rester tout le temps objectif ? Pensez-vous d’ailleurs l’être tout le temps ?

Normalement les journalistes ne doivent pas donner leur opinion politique car cela agace les auditeurs ; ce n’est pas comme dans certains journaux dont le but est le conflit. Si je pose une question, je ne prends pas parti, mais j’expose des arguments, je me fais l’avocat du diable. Les gens considèrent que si je parle de la gauche, je suis pour la gauche ; mais que si je parle de la droite, je suis pour la droite. Il existe des faits discutables et d’autres factuels. Ainsi, par exemple, j’ai opéré un choix récemment : je n’ai pas souhaité inviter un partisan d’Éric Zemmour qui justifiait les exactions de la Russie, soit qu’il était mal informé soit qu’il mentait sciemment ; son discours ne me paraissait pas républicain.

  • Par exemple, dans la question du jour de ce matin, pourquoi n’avez-vous cité que des journaux de gauche ? 

Sur la question du jour – le RSA –, j’ai cité peu d’exemples car on a juste deux minutes à l’antenne pour y répondre et que je me suis trouvé en retard : j’ai fait un choix. A propos de cette proposition d’Emmanuel Macron sur le RSA, politiquement située, j’ai reçu, comme tous les jours, un chercheur qui pense que le mécanisme est difficile à mettre en place.

  • Est-ce que cela vous arrive de vous énerver quand certains invités sont inintéressants ? Cela arrive-t-il que des invités vous mentent ?

Je suis énervé parfois parce que je n’ai pas le bon invité ou que le sujet de conversation n’est pas intéressant. Je dois parfois un peu bousculer l’invité : soit la personne change alors de sujet, soit elle reste sur le même sujet et j’ai perdu. Il y a des sujets intelligents et des sujets peu intéressants qui n’ont rien à voir avec la culture, comme la polémique sur le drapeau européen sous l’Arc-de-Triomphe, par exemple ; je dois choisir et être vigilant. Quant au mensonge, ce fut le cas d’un ministre qui n’arrêtait pas d’affirmer aux journalistes qu’il ne possédait pas de compte bancaire dans un paradis fiscal ; mais que pouvais-je lui faire dire ?

  • Avez-vous été victime de censure ?

Oui, lorsque sous Jacques Chirac j’étais chroniqueur – je traitais alors des sujets mineurs – mais jamais je n’ai subi de censure comme dans certains autres pays ; ni après les attentats de Charlie Hebdo pour qui j’ai travaillé ensuite. 

  • Pourquoi avez-vous choisi France Culture ? 

Ce sont les journaux qui choisissent les journalistes en fonction de leurs compétences et comme j’étais considéré comme un « intello », on m’a recruté ; mon diplôme et mon expérience m’ont aidé également.

  • Qui choisit les sujets que vous traitez ?

Ce sont les personnes qui travaillent déjà sur le sujet – rédactrice en chef, une dizaine de journalistes – qui choisissent les sujets. Ensuite, l’information est vérifiée ; et parfois elle manque de précision : j’avais dit qu’une explosion avait eu lieu à Kiev alors qu’elle s’était produite en périphérie de Kiev.

  • Selon vous, qu’est-ce qu’être journaliste ? Quelles sont les qualités d’un bon journaliste ? 

C’est une manière d’articuler les questions que les gens se posent sur la démocratie et la société en général. C’est une représentation du monde. La question est difficile car il y a plusieurs types de journalismes. Il faut être curieux et savoir poser des questions.

  • Comment se prépare une matinale sur France Culture ? Ça veut dire quoi hiérarchiser l’information ? 
  • Je me lève à 3 heures du matin, j’ai juste le temps de lire la presse, de rédiger un billet, de faire une revue de presse et de relire deux fiches, l’une sur la question du jour à laquelle je dois répondre en deux minutes, et la grande question que je dois traiter en 45 minutes environ. Après c’est le débriefing à 9h30. Hiérarchiser, c’est savoir quel est le discours le plus important – match de la veille ou discours d’Emmanuel Macron ?
  • Est-ce que vous cachez des informations pour ne pas choquer ?

Je ne vais pas appeler cela « cacher », mais lors des attentats de 2015, la description des scènes de crime, selon moi, ne m’a pas parue intéressante ; j’ai donc édulcoré le sujet.

  • Comment expliquez-vous le fait que les réseaux sociaux ont dévié les journalistes et ont ramené les Fake News ?

Les mensonges peuvent être propagés et on doit faire preuve d’une extrême vigilance, par exemple lors de la Guerre du Golfe qui fut justifiée par l’existence d’un arsenal de destruction massive, alors que celui-ci était totalement inventé. 

  • Si un conseil sur la société ou sur la démocratie devait être donné aux jeunes citoyens, ce serait lequel ?

Quand j’étais jeune, il n’y avait que deux ou trois chaînes de radio ; après sont arrivées les radios libres. Les réseaux sociaux, c’est tout récent. Il est devenu complètement possible de créer son podcast en participant à un phénomène captivant et exaltant ; cette liberté est importante, mais il faut rester vigilant.

Pour les 2e4, Louis Brédy